Auteurs :
Jacques Potdevin : Président de la Fédération des Experts comptables Européens (FEE - Federation of European Accountants) de 2007 à 2008.
Olivier Boutellis-Taft : Directeur exécutif de la FEE.
Le marché intérieur a fait l'objet d'une forte attention politique, d'efforts de la part du législateur et de commentaires de toutes sortes. Le dixième anniversaire du marché intérieur en 2002 avait été l'occasion de souligner les avantages de cet extraordinaire programme de réformes : choix plus vaste, meilleure qualité, prix plus avantageux, 1 million d'échanges d'étudiants grâce au programme Erasmus. Si l'on s'intéresse aux aspects économiques, on estime que le marché intérieur a permis d'augmenter le PIB de 1,8%, de créer 2,5 millions d'emplois et d'améliorer la prospérité de chaque ménage de 5 700 € en moyenne [1].
Outre ces chiffres, le marché intérieur constitue une incroyable réalisation politique, reconnue dans le monde entier, dont le succès est l'aboutissement de l'un des plus vastes et des plus ambitieux programmes de réformes structurelles.
La mission est-elle achevée ? Non, il serait faux de croire que le marché intérieur est terminé. Les experts-comptables qui travaillent avec des entreprises de toute taille savent par expérience qu'en pratique, il reste de nombreux obstacles et qu'il est essentiel de poursuivre l'harmonisation et la simplification pour permettre aux entreprises de saisir les opportunités offertes par le marché intérieur. Cela vaut notamment pour les PME, qui constituent la grande majorité des entreprises de l'Union européenne, à savoir plus de 90%.
Le marché intérieur constitue également le meilleur atout des PME pour être compétitives sur les marchés mondiaux : il leur permet d'atteindre la masse critique nécessaire de consommateurs et d'accéder aux input (ou intrants) nécessaires, y compris les capitaux, ou du moins, il devrait. À cet égard, il est intéressant de se pencher sur ce qui constitue l'infrastructure du marché intérieur pour les entreprises, le fondement qui permet le développement de toutes les autres politiques, à savoir le droit des sociétés.
Un cadre juridique simple est essentiel pour permettre aux PME de saisir les opportunités qu'est censé leur apporter le marché intérieur ; il contribue, par ailleurs, à améliorer la sécurité juridique et à réduire les frais administratifs. Dans le cadre de la consultation sur la société privée européenne réalisée en 2007, la Commission a interrogé un panel d'entreprises européennes qui a révélé que 56% des entreprises sondées estimaient qu'il serait utile que les règles relatives aux sociétés soient uniformes dans l'Union européenne. L'harmonisation est indispensable pour faciliter l'accès au marché intérieur, sa compréhension par les entreprises, indépendamment de leur taille et pour uniformiser le champ d'action.
Les entreprises doivent actuellement faire face à une crise sans précédent qui touche la finance, l'économie et la politique. L'attention a été essentiellement portée sur l'industrie bancaire et les autres acteurs des marchés de capitaux. Dans ce contexte, il convient de garder à l'esprit que les PME jouent un rôle essentiel pour la résistance de notre économie et pour le dynamisme du marché de l'emploi. De nombreuses PME font partie de la chaîne d'approvisionnement de plus grandes entreprises dont elles constituent un maillon fondamental et à qui elles offrent flexibilité, innovation et rentabilité. Toutefois, en cas de baisse de la demande ou de resserrement du crédit, les PME sont souvent touchées plus rapidement et plus durement. Il est urgent de les aider à réaliser des gains d'efficacité ou à garantir leurs liquidités ou leur accès à des financements. Pour cela, elles peuvent compter sur la transparence et la fiabilité du contrôle de gestion.
La transparence constitue un élément essentiel pour les gestionnaires et les investisseurs, les régulateurs et les superviseurs ; c'est aussi une condition préalable pour les parties intéressées et pour le contrôle démocratique. On observe une amélioration de la transparence dans les entreprises et de nombreux progrès ont été réalisés au cours des dernières années. En outre, grâce aux progrès technologiques, les coûts de la transparence diminuent. Cependant, le degré insuffisant de transparence a souvent été considéré comme l'une des principales causes de la crise. En raison de l'importance des PME, les informations les concernant sont également devenues cruciales pour la gouvernabilité de l'économie [2].
L'harmonisation du contrôle de gestion contribue à réduire les coûts administratifs pour les PME produisant les informations (et utilisant également les mêmes informations sur leurs partenaires commerciaux), pour les experts comptables vérifiant les informations, pour les créanciers et les administrations publiques prenant leurs décisions en fonction de ces informations. L'harmonisation des informations facilite leur compréhension et leur interprétation. La sécurité juridique est améliorée, les coûts de formation et les taux d'erreur sont réduits, tout comme les coûts de mise en conformité et de mise en œuvre.
Sur cette base, il faut saluer la demande du Parlement européen en faveur d'un cadre de comptabilité harmonisé, cohérent et global pour l'Europe ainsi que l'engagement récent de la Commission européenne à présenter des propositions pertinentes en octobre 2009.
Toutefois, les responsables politiques et les régulateurs, qui restent essentiellement locaux, pourraient peiner à s'engager dans le développement d'un tel cadre harmonisé et être tentés de chercher des solutions nationales, ce qui serait une erreur dans un monde où les marchés, les investisseurs et les entreprises (et de plus en plus, quelle que soit leur taille) sont, ou pensent, à l'échelle européenne ou mondiale.
La crise actuelle nous montre qu'il est temps que les États membres surmontent leurs différences contre-productives ou leurs divergences de perception et qu'ils acceptent d'offrir aux PME un véritable marché intérieur, efficace.
Le 26 novembre 2008, la Commission européenne a publié sa communication sur le plan de relance européen [3]. Cette initiative, saluée, propose une série de mesures utiles ; elle vise aussi à restaurer la force d'impulsion pour un certain nombre de propositions en cours ainsi qu'à lancer de nouvelles idées qui devront être approfondies. Toutefois, il est surprenant de constater que cette communication ne fait que rarement référence au marché intérieur, comme si des marchés concurrentiels ouverts, des politiques coordonnées et des cadres juridiques harmonisés et rationnalisés n'étaient d'aucune utilité.
Ce plan rappelle "les économies d'échelle liées à l'euro et au marché unique le plus important du monde" et appelle à l'accélération de la création du statut de société privée européenne, arguant du fait que les PME doivent pouvoir être soumises "à un ensemble unique de règles applicables aux sociétés dans toute l'Union". Toutefois, il est regrettable que ce plan ne prenne pas davantage en compte les expériences pratiques car cela aurait permis d'éviter une contradiction frontale avec une autre proposition faite par le même plan, visant à "dispenser les micro-entreprises de l'obligation d'établir des comptes annuels et à limiter les exigences de capital de l'entreprise privée européenne à un euro". Ce qui peut sembler utile d'un côté peut être à double tranchant, car aucune entreprise ne peut fonctionner de manière durable et efficace sans 3 éléments essentiels : (i) un marché efficace (la bonne idée), (ii) des capitaux suffisants et (iii) de bonnes compétences en matière de gestion et de comptabilité.
En pratique, il ne s'agit pas tant de plus ou moins légiférer, mais de mieux légiférer. Il conviendrait de ne développer de nouvelles règlementations ou de les réviser que lorsqu'il est évident que les bénéfices qu'elles apportent à la société dans son ensemble sont supérieurs à leurs coûts. L'expérience montre que légiférer en urgence, sous la pression politique, sans consultation des parties intéressées ni aucune évaluation conduit souvent à des conséquences non désirées.
Il conviendrait également de rappeler que la crédibilité de la Commission européenne tient pour beaucoup à son objectivité et à son expertise lorsqu'elle traite ce type de questions. La Commission élabore la législation et, à ce titre, est devenue une référence mondiale en matière d'analyse d'impact. Cet élément clé de sa stratégie d'amélioration de la réglementation contribue à faire reposer les propositions sur des fondements objectifs et sur une évaluation factuelle solide, et non simplement sur des motivations relevant uniquement de la politique ou de la communication. Toutefois, le terme "analyse d'impact" n'est pas mentionné une seule fois dans le plan de relance.
Actuellement, non seulement le marché intérieur n'est pas entièrement opérationnel, mais il semble qu'il soit aussi victime d'un manque d'engagement politique. On observe dans certains États membres des tentations croissantes de protectionnisme et les institutions européennes, originellement créées pour y faire face et imposer l'État de droit, semblent avoir du mal à jouer leur rôle. Plus que jamais, l'Europe a besoin d'un gardien de son système juridique ; c'est le rôle attribué par le traité de Rome à la Commission européenne, mais la transformer en arène politique n'aiderait pas.
Ce qui vaut pour les entreprises peut aussi valoir pour les régulateurs. La crise financière plaide en faveur d'une meilleure coordination et démontre la nécessité d'une approche européenne. Comme les entreprises et les investisseurs, les régulateurs et les superviseurs sont également confrontés à des charges supplémentaires, à des incertitudes et à des pièges liés aux incohérences, conflits et points faibles des législations. Le débat politique actuel sur la supervision et la coordination européenne est un signe encourageant : il montre que les États membres prennent conscience de la nécessité de traiter cette question.
Dans un monde globalisé, les responsables politiques augmentent la concurrence pour rendre leurs territoires attractifs, mais parallèlement, la mondialisation renforce leur intérêt commun et les force à coopérer. Le point de départ d'une telle coordination mondiale est toutefois local. Une Europe désunie, non coordonnée, fragmentée, ralentie et vieillissante ne sera pas entendue sur la scène internationale. Il est plus nécessaire que jamais de parler d'une seule voix et d'avoir un marché commun.
Toutefois, la coordination et le rapprochement des législations ne résoudront pas la question. La crise nous montre aussi qu'en fin de compte, il s'agit souvent d'une question de personnes. Derrière nombre de causes de la crise, certains décèlent une racine commune, liée à des comportements individuels, que ce soit dans la salle des marchés, au sein des conseils d'administration ou des organismes de régulation. La manière dont certains instruments financiers ont été détournés de leurs objectifs initiaux à des fins de court terme purement spéculatives en est un exemple d'actualité. C'est à la société dans son ensemble de réfléchir sur les moyens de restaurer et d'améliorer les normes éthiques, notamment au sein du monde des affaires. Dans son domaine d'activité, la profession comptable est liée par un code d'éthique mondial ; elle continuera à promouvoir auprès de ses membres intégrité, objectivité, indépendance, professionnalisme, compétence et prudence.
Traduit de l'anglais par Mathilde Durand.
* Les opinions exprimées dans cet article sont celles ces auteurs.
** La FEE représente 43 instituts professionnels d'experts-comptables et de commissaires aux comptes de 32 pays européens, dont les 27 États membres de l'Union européenne. La FEE représente plus de 500 000 experts-comptables travaillant dans divers domaines (profession libérale, entreprises, gouvernements et éducation). Ils contribuent au développement d'une économie européenne plus efficace, plus transparente et plus durable. Pour en savoir plus sur la FEE, consulter le site www.fee.be
[1] Document de travail de la Commission, Le marché intérieur – Dix ans sans frontières, http://ec.europa.eu/internal_market/10years/docs/workingdoc/...
[2] Voir l'avis du Comité européen des centrales de bilans (ECCBSO) sur la communication de la Commission relative à la simplification de l'environnement des sociétés en matière juridique, comptable et de contrôle des comptes (COM 2007 394 final)
[3] Commission européenne, "Un plan européen pour la relance économique", COM (2008) 800, http://ec.europa.eu/commission_barroso/president/pdf/Comm_20...
lundi 5 janvier 2009
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