Donald Kalff est un ancien manager de nombreuses entreprises européennes comme KLM ou BP, il est aujourd’hui consultant et intervenant à l’Université néerlandaise de XX. A l’occasion de la sortie de son ouvrage « L’entreprise européenne » il est intervenu lors d’une conférence-débat auprès des membres d’Europe et Entreprises.
Je vous remercie de votre chaleureuse invitation qui me donne l’occasion de vous faire partager mon point de vue sur le capitalisme moderne en général et les grandes entreprises cotées en Bourse en particulier.
J’espère vous convaincre que la plupart des idées largement répandues dans ce domaine ne résistent pas à un examen approfondi qui offre des perspectives nouvelles et intéressantes sur le plan économique. Personnellement, je suis persuadé que le capitalisme mérite mieux.
Introduction
Les vents d’outre-Atlantique soufflent violemment et les entreprises européennes sont soumises à des pressions considérables pour les inciter à adopter le modèle anglo-saxon de gouvernance, de management et d’organisatiode leurs activités, le fameux modèle shareholder, un modèle privilégiant la création de valeur pour l’actionnaire. Et aucun pays du monde n’est davantage concerné par ce phénomène que les Pays-Bas. La restructuration de la compagnie pétrolière anglo-néerlandaise Royal Dutch Shell en 2005, qui a contribué à mettre le groupe entre les mains de ses actionnaires en le transformant en société de capitaux (Ltd.) bien que l’une des deux maisons mères, Royal Dutch, une NV néerlandaise, détenait 60% des actions du groupe, montre que même les entreprises les plus puissantes ne résistent pas à la suprématie du modèle anglo-saxon.
Je vais commencer par vous exposer brièvement les caractéristiques fondamentales du modèle shareholder en essayant de faire ressortir son attrait irrésistible. Une fois que nous aurons compris ce qui le rend si séduisant, nous pourrons nous pencher sur ses nombreux défauts de conception. Dans ce contexte, il est important de noter qu’une autre approche solidement établie, ce que l’on appelle le modèle stakeholder, un modèle fondé sur l’optimisation des intérêts de toutes les parties prenantes, à savoir les actionnaires, les salariés, les fournisseurs, les clients et la société dans son ensemble, ne constitue guère une alternative. Il ne fait aucun doute qu’à la vitesse où vont les choses le modèle shareholder devrait rapidement supplanter le modèle stakeholder.
Comme je l’explique dans la deuxième partie de mon discours, les performances des grandes entreprises cotées en Bourse sont très médiocres, non seulement de mon point de vue, mais même en appliquant leurs propres critères de performance.
Dans mon livre, j’expose les multiples raisons de ces piètres résultats, certes surprenants, mais indéniables. Mais aujourd’hui je suis obligé de me limiter à une raison essentielle esquissée dans la troisième partie de mon exposé : les conséquences d’une recherche de maximisation de la valeur actionnariale.
Dans la quatrième et dernière partie, je terminerai en vous faisant partager mes idées sur la façon dont nous pouvons renverser la situation. Je ne pense pas que les forces politiques ou culturelles suffisent à changer la donne. Et encore moins que la raison va prévaloir. Cependant, je tiens à souligner que les économies de l’Europe continentale possèdent trois avantages stratégiques. Jusqu’à présent, ces avantages ne sont pas reconnus comme tels, mais ils
méritent d’être défendus avec vigueur. Ils constituent la première arme pour lutter contre le modèle américain.
La seconde arme que nous pouvons utiliser est la conception de nouveaux modèles d’entreprise européens compétitifs, capables de servir les intérêts de chacun d’entre nous. Je conclurai en esquissant les contours du modèle que je propose dans mon livre, espérant ainsi susciter le débat et en encourager d’autres que moi à concevoir leur propre modèle.
Pourquoi le modèle anglo-saxon est-il si attractif ?
Le modèle shareholder tire l’essentiel de sa force de la poursuite d’un objectif unique, parfaitement clair : la création de valeur pour l’actionnaire. Un seul critère de performance quantifiable commun aux actionnaires, au management et aux salariés de l’entreprise est véritablement une condition de sa réussite. Il ne faut pas oublier que l’actionnaire est le seul à prendre des risques. Les dirigeants perçoivent des salaires plus que confortables, les salariés sont protégés par des conventions collectives, les fournisseurs comme les clients ont des droits contractuels et le gouvernement touche sa part sur les bénéfices de l’entreprise.
Par conséquent, l’actionnaire n’a pas seulement le droit d’être récompensé financièrement des risques qu’il prend, mais il jouit d’une supériorité morale en qualité de successeur de l’entrepreneur traditionnel.
De plus, l’actionnaire et les marchés boursiers sur lesquels il opère sont la pierre angulaire de la croissance économique, laquelle dépend, bien sûr, d’une affectation adéquate des capitaux.
Deuxième caractéristique tout aussi séduisante de ce modèle : il repose sur un leadership puissant. La gouvernance et le management, les politiques et leur mise en œuvre, sont entre les mains d’une seule personne:le PDG. Résultat:le délai entre les prises de décision et l’application des décisions est souvent très court, la cohérence entre les différentes décisions et le respect d’une ligne de conduite donnée sont garantis. De plus, il est évident qu’une seule personne, en l’occurrence le dirigeant d’entreprise, et non une équipe ou un comité, peut convaincre les actionnaires, obtenir la confiance de clients et motiver les salariés. Et seul un individu peut être tenu pour responsable. Le PDG doit donc être récompensé comme il se doit si l’entreprise prospère et, si elle enregistre de mauvais résultats, en supporter les conséquences.
Troisième aspect séduisant du modèle shareholder : il est orienté clients. Qui pourrait nier que le client est la source de toute valeur et la « raison d’être » de l’entreprise ? La structure organisationnelle doit respecter ce principe et les entreprises doivent se diviser en secteurs pour « coller » au plus près à la segmentation du marché. Les secteurs doivent eux-mêmes être divisés en unités opérationnelles et les unités opérationnelles être responsables de tel ou tel produit adapté à tel ou tel marché.
Un produit, un marché : nous tenons là la plus petite unité d’analyse, à savoir la relation entre le représentant de l’entreprise, quel qu’il soit, et le client. C’est à ce niveau que sonne l’heure de vérité : l’entreprise est elle capable d’apporter de la valeur aux yeux du client ?
Naturellement, à des fins de transparence et de limitation des risques pour l’actionnaire, cette forme de décentralisation prononcée doit s’accompagner d’un puissant contrôle managérial. Le contrôle financier, en particulier, contribue à ce que chaque salarié puisse voir de quelle manière il participe à l’accroissement de la valeur actionnariale. Il contribue également à révéler et à pallier les résultats insuffisants le plus tôt possible. Manifestement, les objectifs financiers constituent une base solide à des récompenses sous forme de primes et de stock-options.
Sur le plan de sa propre culture, l’entreprise est prête à accomplir des avancées spectaculaires. Une « politique des petits pas » est insuffisante pour faire face à la concurrence. Dirigeants et salariés doivent développer d’autres compétences et d’autres stratégies toutes les fois où elles s’avèrent nécessaires, autant dire souvent.
Cette nécessité d’effectuer des mutations permanentes a une conséquence regrettable : rares sont les managers et les salariés à réussir des transitions aussi brutales qu’incessantes.
Enfin, il est clair que la concurrence permet aux individus de donner le meilleur d’eux-mêmes et que le marché est, de loin, le mécanisme le plus efficace pour affecter les ressources rares. Et cela ne vaut pas seulement dans le cadre des relations avec les entreprises concurrentes et les clients.
Au sein des entreprises, le libre jeu de la concurrence et du marché représente le meilleur moyen d’affecter trois types de ressources : des fonds limités à des projets d’investissement, le talent des individus, une ressource toujours insuffisante, et l’attention des cadres supérieurs, la ressource la plus rare de toutes.
On s’attendrait à ce que des entreprises aussi attrayantes soient parfaitement rentables, voire dégagent des profits. Eh bien non. En réalité, les grandes entreprises américaines cotées en Bourse, qui représentent une grande partie du secteur privé, ne se révèlent pas à la hauteur.
Les performances des entreprises fondées sur le modèle shareholder
Il est assez révélateur de noter que : 80% des programmes destinés à accélérer la croissance de l’entreprise se soldent par un échec, 80% des fusions acquisitions se terminent en fiasco, 80% des tentatives visant à changer la structure et la culture de l’entreprise ne produisent pas les résultats escomptés.
De plus : 80% des programmes destinés à augmenter la production et les ventes des produits existants affichent des résultats beaucoup moins bons que prévu, 80% des projets destinés à externaliser les activités de l’entreprise et à réduire les coûts sont inefficaces à long terme.
Le résultat le plus lamentable ? Les grandes entreprises restent capablesd’attirer les diplômés les plus brillants du monde, mais elles perdent 50% d’entre eux dans les trois années qui suivent leur embauche.
Si nous examinons le bénéfice par action, le critère de performance privilégié du modèle d’entreprise américain, et revenons sur les années 1990, une décennie associée à la plus longue période d’expansion économique de l’histoire, nous faisons des découvertes surprenantes.
Globalement, à partir de 1997, les 500 premières grandes entreprises des États-Unis n’ont pas réussi à améliorer leur bénéfice par action. Et ce malgré les vastes programmes de rachat d’actions mis en place à l’époque. De plus, les profits annoncés durant cette décennie doivent être revus à la baisse pour plusieurs raisons.
Première raison : au cours des années 1990, le coût des plans de stock-options n’était pas comptabilisé – il figurait dans une note de bas de page des rapports annuels des entreprises. La prise en compte de ce coût entraîne donc une révision à la baisse de la rentabilité des entreprises américaines de 30% en moyenne. Et de 80% pour les sociétés technologiques comme Microsoft.
Deuxième raison : des centaines d’entreprises ont pris la liberté d’inclure les profits générés par leurs fonds de pension dans leur bilan – un bon moyen de doper artificiellement leurs résultats comptables vu l’accroissement sans précédent de la valeur duportefeuille d’investissement au cours de la décennie 1990. Cette deuxième révision à la baisse réduit la rentabilité moyenne des entreprises de 15% supplémentaires.
Troisième raison : la plupart des entreprises n’ont pas été suffisamment prévoyantes, ne faisant aucune provision pour tenir leurs engagements dans le futur : elles ont différé la rémunération de leurs dirigeants et leur participation au financement de la couverture maladie de leurs retraités. Ce qui nécessite une nouvelle correction à la baisse de 15%. Sans compter les 700 recours collectifs en justice résultant de mauvaises décisions prises durant la décennie 1990 qui n’ont toujours pas été réglés. Des milliards d’actions en justice ont été annoncés, mais des milliards sont encore à venir, ce qui assombrit, là aussi, la rentabilité affichée par les entreprises. Vous remarquerez que la situation générale que je vous esquisse ici ne tient pas compte des conséquences dramatiques des nombreux délits avérés du monde financier : banques d’investissement, opérateurs boursiers, SICAV, syndicats de placement et compagnies d’assurance.
J’en viens donc à une conclusion, certes très surprenante pour beaucoup, mais inévitable : au cours d’une période de prospérité économique sans précédent, les grandes entreprises américaines types ont globalement enregistré des performances plus que médiocres.
Si l’on se penche sur ces dernières années, leurs performances semblent s’être améliorées entre 2000 et 2005. Mais cette embellie n’a jamais été analysée à la lumière de la politique très expansionniste du gouvernement américain et de la Réserve fédérale : les autorités ont contribué à faire grimper en flèche les dépenses de consommation des ménages. Au cours de cette période, les impôts ont diminué pour passer de 20 à 16% du PIB.
Dans une économie qui pèse quelque 13 billions de dollars, cette baisse se traduit par une injection de 500 milliards de dollars supplémentaires par an dans la machine économique.
Parallèlement, le gouvernement américain a augmenté ses dépenses publiques de 400 milliards de dollars pour financer le maintien de la sécurité intérieure et des programmes d’habilitation.
Quant au niveau exceptionnellement bas des taux d’intérêt et à la flambée des prix de l’immobilier, ils ont incité les propriétaires à refinancer leurs prêts hypothécaires et à dépenser la moitié des recettes de cette belle opération, soit la coquette somme de 500 milliards de dollars. Afficher de bonnes performances dans un contexte économique aussi favorable n’est absolument pas révélateur de la solidité réelle des entreprises américaines.
D’ailleurs, les faits sont là : elles ont perdu du terrain sur les marchés mondiaux malgré tout l’arsenal d’avantages concurrentiels qu’elles possédaient.
Il existe plusieurs explications à ces performances médiocres des grandes entreprises américaines. Le temps dont je dispose aujourd’hui me permet seulement d’exposer la raison principale.
Au cœur du problème
Le concept de valeur actionnariale, un critère d’évaluation théoriquement valable, a été détourné par la communauté financière et remplacé par la rentabilité des capitaux propres. La valeur actionnariale était jusqu’alors synonyme de valeur économique, définie comme la différence entre l’ensemble des recettes et des dépenses futures, naturellement corrigée de l’inflation et du coût du capital, des taux d’intérêt et des dividendes distribués. Ce concept rationnel, qui tient parfaitement debout sur le plan économique, a été remplacé par la différence entre le prix d’achat et le prix de vente de l’action de l’entreprise cotée en Bourse corrigée des dividendes distribués. Manifestement, une approche à court terme est privilégiée.
Ce concept dénaturé part du principe que le cours de l’action reflète parfaitement la valeur de l’entreprise. Des études empiriques récentes menées à grande échelle par Deloitte & Touche ont dénoncé cette hypothèse, la jugeant totalement irréaliste.
Beaucoup le savaient depuis le début. Les fluctuations aussi importantes que fréquentes du cours des actions n’étaient jamais en corrélation avec les cash flows, plus stables à long terme, des entreprises qui émettaient ces actions.
Les conséquences sont vraiment déplorables. La capitalisation boursière, définie comme le cours de l’action multiplié par le nombre d’actions qui
composent le capital, oriente de nombreuses décisions liées à l’investissement et à l’entreprise en général, et ce jour après jour. En particulier dans le domaine des fusions acquisitions.
À chaque fois que le prix d’acquisition (capitalisation boursière + prime de contrôle) est plus élevé que la valeur économique de l’entreprise acquise, les fonds sont mal affectés. C’est ce que montrent des études successives.
Certains spécialistes vont même jusqu’à dire que l’ampleur de la destruction de valeur est telle qu’elle peut provoquer une récession.
Les conséquences d’une sous-évaluation des entreprises sont plus insidieuses et plus graves. De nombreuses fusions valables au niveau économique ne peuvent pas aboutir, car on ne rend pas justice aux actionnaires, aux managers et aux salariés s’il s’agit simplement de transférer la valeur économique à l’entreprise acquérante. La valeur non créée n’apparaît pas dans les comptes de l’entreprise, mais elle correspond à une perte réelle.
La recherche de rentabilité maximale des capitaux propres est également contreproductive en raison d’un cocktail explosif à quatre ingrédients, si l’on peut dire.
Le premier ingrédient est une hypothèse largement répandue selon laquelle une
hausse durable du bénéfice par action est reconnue par les marchés financiers et entraîne une hausse du cours de l’action. Curieusement, ce n’est pas le cas dans la réalité. Il suffit de considérer les périodes 1995-2000 et 2000-2005 pour constater qu’au cours de la première période les bénéfices étaient faibles alors que le cours des actions explosait et que, durant la seconde période, les bénéfices ont fortement progressé tandis que le cours des actions, après un léger redressement initial, demeurait quasiment stable.
Une étude récente menée à l’échelle mondiale par le Boston Consulting Group(BCG) confirme le bien-fondé de cette observation.
Deuxième ingrédient de ce cocktail explosif : le mode de recrutement des PDG. Ces derniers sont recrutés de préférence au sein des rangs de ceux qui ont amélioré la rentabilité des capitaux propres. Ils doivent être déterminés, opiniâtres et charismatiques, mais surtout respectés par la communauté financière.
Troisième ingrédient : les PDG ne bénéficient que d’un contrat à court terme, de quatre ans maximum, ce qui n’a rien d’étonnant au vu de l’objectif n° 1 poursuivi : la rentabilité maximale des capitaux propres.
Quatrième et dernier ingrédient : la rémunération variable, très conséquente, que touchent les PDG et qui représente en moyenne les deux tiers d’une rémunération totale s’élevant à quelque 8 millions de dollars américains, dépend du « bénéfice par action » et/ou directement de la performance de l’action.
Au vu de cette situation, il semble parfaitement logique de prendre un nombre de mesures limité : rachats d’actions, réduction des coûts et acquisitions en vue de réduire encore davantage les coûts.
Toutes ces politiques sont censées avoir un effet positif sur le bénéfice par action à court et moyen terme, c’est-à-dire pendant la durée du contrat du PDG. Elles contrastent fortement avec d’autres stratégies – investissements à grande échelle, développement du marché et formation d’alliances – destinées à accroître la valeur économique de l’entreprise, certes au détriment du bénéfice par action et de la rentabilité à court terme.
Détruire de la valeur économique – ou ne pas en créer – dans le but d’améliorer le bénéfice par action, un objectif qui n’est même pas lié à l’objectif final d’augmenter la rentabilité des capitaux propres : tel est l’un des plus grands scandales de notre époque.
Pour cette raison, et bien d’autres, se pose la question de savoir ce que l’Europe peut faire pour lutter contre cette forme inférieure de capitalisme.
La défense du royaume
Heureusement, l’Europe possède trois avantages structurels par rapport aux États-Unis, avantages qui, dans une certaine mesure, protègent l’Union européenne.
Cependant, ces atouts doivent être reconnus comme tels si nous voulons concevoir des stratégies efficaces pour les défendre et les développer.
Premier avantage de l’Europe : le rôle modeste des marchés boursiers dans la satisfaction des besoins en capitaux des entreprises européennes.
En effet, ces dernières ne recourent aux marchés boursiers qu’à hauteur de 25% pour obtenir des financements, contrairement aux entreprises américaines qui dépendent à 75% des marchés boursiers pour se financer. Les entreprises européennes comptent essentiellement sur leur propre cash-flow pour financer leur croissance.
Elles recourent également aux prêts bancaires et aux capitaux d’investisseurs privés – cette dernière source de financement, bien que limitée au départ, se développe rapidement. Enfin, de nombreuses entreprises européennes financent leur développement à travers des joint-ventures et d’autres formes de coopération.
Cela permet à la majorité des entreprises européennes d’échapper aux attentes multiples des banques d’affaires anglosaxonnes, des analystes financiers, des
conseils en stratégie et de la presse financière envers les sociétés cotées en
Bourse. Ces acteurs ne peuvent tout simplement pas concevoir d’autres modèles d’entreprise que le modèle américain.
Ce qui contribue à expliquer pourquoi, après des années de scandales à répétition (éclaboussant, en particulier, la communauté financière, comme par hasard), aucun responsable, dans quelque domaine que ce soit, ne s’est demandé si le modèle d’entreprise américain ne pouvait pas être la véritable cause du problème.
Deuxième avantage de l’Europe : l’héritage juridique commun aux pays d’Europe continentale, à savoir le Code civil.
Ce cadre favorable offre deux atouts aux parties contractantes : une grande souplesse dans leurs négociations et, en cas de litige, la possibilité de porter l’affaire devant le tribunal, ce qui constitue une protection juridique. Des notions telles que « agir de bonne foi », « agir de façon juste et équitable » et « agir en accord avec les pratiques commerciales en vigueur » ont gardé tout leur sens. Instaurer des rapports de confiance est un moyen extrêmement efficace de former et de développer des partenariats « à valeur ajoutée ».
Dans des économies qui dépendent de plus en plus de la coopération – à court ou à long terme, entre deux ou plusieurs parties, avec d’autres entreprises et/ou d’autres institutions, dans un ou plusieurs domaines – le Code civil est bien supérieur au droit coutumier du système anglo-saxon. Les juges qui, en réglant des litiges, sont guidés par les intentions premières des partenaires et peuvent présumer une responsabilité de toutes les parties concernées, préservent la valeur économique.
Troisième avantage de l’Europe qui mérite d’être souligné et protégé : la grande diversité des modèles d’entreprise en vigueur dans les pays européens. Des coopératives aux PME en passant par les entreprises publiques et les grands groupes familiaux.
Et chaque modèle comporte des variantes nationales, voire régionales. Les marchés et les entreprises évoluant constamment, doivent être capable de choisir, à n’importe quel moment, la forme de gouvernance et de management, la structure organisationnelle, la culture d’entreprise, la planification et la rémunération des performances les plus appropriées, ce qui constitue un avantage de taille.
Accroître les richesses de l’Europe
Ma conception de l’entreprise s’inscrit dans une tradition européenne
d’innovation sociale et de saine compétition entre les différents modèles d’entreprise. Elle contraste fortement avec tous les aspects du modèle américain.
Le seul et unique objectif de l’entreprise européenne est la recherche de la valeur économique, une garantie pour tous ceux qui ont intérêt à ce que l’entreprise soit prospère. Cet objectif implique d’accorder la priorité à la protection et à la croissance des cash-flows futurs. Et cette priorité implique, à son tour, une continuité, laquelle nécessite une légitimité.
L’entreprise européenne est donc guidée par des principes qui structurent ses
relations avec ses actionnaires, ses salariés et ses partenaires.
L’entreprise européenne se fonde sur un principe fondamental : la création de la valeur économique dépend de ses experts, de plus en plus spécialisés, de ses cadres moyens et de leur capacité à coopérer, ainsi que de la mise en place de la structure organisationnelle la plus adaptée à la coopération.
Ce principe est valable dans tous les domaines clés. Qu’il s’agisse d’exploiter le potentiel que recèle l’activité existante en se fondant sur ses concepts entrepreneuriaux, son organisation, ses marchés et ses actifs. Un domaine moins prestigieux mais d’une importance capitale dans lequel l’entreprise réalise jour après jour des gains de productivité mineurs grâce à ses nombreux contacts internes et aux multiples relations qu’elle entretient avec ses fournisseurs et ses clients.
Qu’il s’agisse d’amener le potentiel des concepts entrepreneuriaux existants à un niveau structurellement plus élevé. Comment ? En nommant une meilleure équipe managériale, en améliorant l’organisation, en investissant dans de nouvelles machines et de nouveaux équipements et en qu’il s’agisse, enfin, d’améliorer le portefeuille de concepts entrepreneuriaux défendus par l’entreprise, ce qui implique de renouveler les concepts entrepreneuriaux existants, en général sur la base de nouveaux partenariats, ou, si cela est impossible, de réduire progressivement le nombre d’unités opérationnelles de manière programmée.
Cela implique également la création de nouveaux concepts entrepreneuriaux et le développement d’organisations autour d’eux.
Seuls des dirigeants axés sur les résultats, qui connaissent parfaitement le monde de l’entreprise et sont correctement surveillés par un conseil d’administration, peuvent se voir confier la très grande responsabilité de diriger une entreprise. Leur mission est de permettre à l’entreprise d’enregistrer une croissance durable, le meilleur moyen de créer de la valeur économique.
Dans ce cadre, ils bénéficient d’une liberté considérable et d’une indépendance totale, tant sur le plan social qu’intellectuel. De plus, leur rémunération est conséquente mais fixe pour éviter de sacrifier l’intérêt de l’entreprise au profit personnel.
La prise de décision est destinée à franchir des étapes clés issues des objectifs de l’entreprise et elle est séparée du processus comptable. Des récompenses financières supplémentaires accordées aux salariés dépendent de la réalisation effective de ces tapes clés dans le développement de l’entreprise et non de la réalisation conjointe de quelques objectifs opérationnels et financiers.
Donald Kallf est l'auteur du livre "L'entreprise européenne" publié chez Vuibert.
http://www.donaldkalff.eu
texte de la conférence publié dans Lettres d’Europe et Entreprises – mars 2007 – n° 37
http://www.europe-entreprises.com
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